Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/94

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livrer au hazard dans tout ce qui malgré que prévu pouvoit ne pas arriver. La ſituation de l’homme qui doit en agir ainſi eſt fort-malheureuſe ; mais un juſte calcul politique inſtruit que pour le tout expédit risquer le tout.

Les nuits éternelles de l’hiver me déſoloient. J’étois obligé de paſſer dix neuf mortelles heures poſitivement dans les ténebres ; et dans les jours de brouillard, qui à Veniſe ne ſont pas rares, la lumière qui entroit par le trou de la porte n’éclairoit pas aſſez mon livre. Ne pouvant pas lire je tombois un peu trop dans la penſée de mon évaſion, et une cervelle toujours occupée dans une même penſée parvient facilement aux confins de la follie. Je contemplois comme le ſouverain bonheur celui de poſſéder une lampe à l’huile, et ma joie fut grande, lorsqu’après avoir penſé à me la procurer par ruſe, j’ai cru d’en avoir trouvé les moyens. Il s’agiſſoit pour la création de cette lampe de me mettre en poſſeſſion des ingrédiens néceſſaires à ſon exiſtence. Il me falloit un vaſe, des lumignons de fil ou de coton, de l’huile, pierre à fuſil, briquet, allumettes, amadou. Le vaſe pouvoit être une petite caſſerole de