Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/99

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non théologien, de la trouver abſurde. Je n’ai d’ailleurs pas beſoin d’être ſublime théologien pour trouver juſte mon action de graces. J’ai remercié le toutpuiſſant de ce que le tailleur n’a pas manqué de mémoire, et ma reconnoiſſance fut juſte ſelon les regles d’une très-ſaine philoſophie.

D’abord que je me ſuis vu maître de l’amadou, j’ai mis dans une caſſerole l’huile, et un lumignon, et je l’ai allumée. Quel contentement ! quelle ſatisfaction de ne reconnoître ce bienfait que de ſoi-même ! et de transgreſſer un ordre dont je ne connoiſſois pas le plus cruel. Il n’y avoit plus de nuits pour moi. Adieu ſalade : je l’aimois beaucoup, mais je ne la regrêtois pas ; il me ſembloit que l’huile n’étoit faite que pour nous éclairer, et que c’étoit abuſer de la providence que de s’en ſervir pour autre choſe. J’ai décidé de commencer à rompre le plancher le premier lundi de carême ; car dans les déſordres du carnaval je craignois toujours des viſites. Ma précaution fut bonne. Le dimanche gras à midi j’ai entendu le bruit des verroux, et j’ai vu Laurent ſuivi d’un très-gros homme, que j’ai reconnu d’abord pour le juif Gabriel Schalon célébre dans l’ha-