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les quatre fils aymon

banal, et sans caractère particulier de réalité historique, de la révolte d’un puissant vassal. Beuves est doté par le trouvère d’un fief imaginaire, et il est inscrit dans la parenté des barons illustres : tout cela, on le sent de prime-abord, est pure invention. Son refus de se soumettre à l’autorité du roi est motivé par des raisons puisées au fonds commun de l’épopée. Il commet le meurtre sans excuse. Quel est ce personnage dont le nom effraie ? Autant que les héros des Chansons de geste, il est d’une grandeur épique. De quel droit figure-t-il dans la légende ? Il n’y a point à se laisser tromper par l’appareil de convention et par le milieu féodal. Tout cela n’est que roman. En fait, l’homme doit sa grandeur à la grandeur de son crime : il a tué le fils du roi ; il est le meurtrier dont le nom et l’acte survivent, alors que les raisons et les circonstances de l’acte s’altèrent et s’évanouissent dans le lointain obscur des siècles.

Ces simples remarques m’engageaient à remonter à l’époque mérovingienne où tant de princes ont péri de mort violente ; mais je n’espérais point que le nom lui-même du meurtrier pût me devenir une indication utile. À ma grande surprise, je l’ai retrouvé dans une de ces tragédies atroces qui ont ensanglanté le règne de Chilpéric et de Frédegonde. Bueves ou Buef, pour observer l’orthographe ancienne, est la forme française de Bobo ou Bob qui est le nom de l’un des deux leudes que Chilpéric chargea de s’emparer par un guet-apens de la personne de son fils Chlodovig. Ici je résumerai brièvement les belles pages d’Augustin Thierry.

Le roi, accompagné des ducs Bob et Desiderius, va dans la forêt de Chelles et fait mander son fils pour un entretien secret. À peine arrivé, Bob et Desiderius le prennent par les bras ; on le désarme, on le charge de liens. Puis il est mené devant Frédegonde, questionné, et le quatrième jour conduit à Noisy où il est poignardé. On l’enterre près d’une chapelle, mais Frédegonde fait enlever le corps qui est jeté dans la Marne[1]. Plus tard, après la mort de Chilpéric, le roi Gonthramn voulait donner à son neveu une sépulture honorable. Un paysan se présenta et dit : « Ô roi, ce que je dis est la vérité

  1. Récits des Temps mérovingiens, septième récit, t. II, p. 343-347. Gregor. Turon. v. 40.