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cette discipline, en autant qu’il est nécessaire de le faire pour assurer le bon gouvernement de son pays, il ne faut pas se méprendre au point d’appeler discipline de parti ce qui n’est qu’une lâche trahison des intérêts nationaux, pas plus que ce qui n’est qu’une conspiration ourdie pour s’emparer du bien public au profit d’une clique ou même d’un parti politique quelconque.

Le général d’armée qui, pour sauver sa patrie, maintient au prix même du sang, cette discipline inflexible, nécessaire pour tenir tous ses soldats inébranlables sous le feu de l’ennemi, est un héros.

Le chef de flibustiers qui exerce sur ses complices cet empire tyrannique au moyen duquel il les maintiendra sous son commandement et leur fera accomplir des prodiges d’audace, n’en est pas moins un brigand.

Que le premier condamne à mort, même par centaines, les déserteurs, les lâches ou les traîtres ; qu’il les fasse fusiller sous ses yeux avec une implacable sévérité : tout le monde dira en frémissant de terreur : « c’est un brave ! »

Mais que le second veuille laver dans le sang la défection de ses compagnons, et tout ce qu’il y a d’honnête dans le cœur humain se révoltera pour lui lancer à la figure le titre de barbare et d’assassin ! La discipline ! elle a des droits sacrés, lorsque le pouvoir qui ordonne est légitime, s’exerce dans les limites de ses attributions, commande suivant les lois de la justice, poursuit un but honnête et se met au service d’une bonne cause.

C’est pour cela que tant d’hommes illustres ont conquis l’admiration de leurs semblables en se faisant les esclaves de la discipline. Mais c’est aussi pour cela que les plus grands hommes d’État n’ont pas hésité à abandonner leur parti, à combattre même avec énergie leurs chefs politiques, lorsque l’intérêt public ou les droits de la justice l’exigeaient.


III


Il est évident que le partisan politique, le député surtout, doit conserver, dans l’accomplissement de ses devoirs publics, une indépendance parfaite et la plénitude du libre exercice de son jugement. Ses fonctions, surtout celles d’un membre du Parlement, participent plutôt de la nature de celles d’un confrère juge sur le banc que de celles d’un soldat sur le champ de bataille. S’il n’en est pas ainsi, le gouvernement constitutionnel perd son caractère et devient, un gouvernement despotique. Or, il est assez indifférent que le despotisme soit, exercé par un homme qui s’appelle Empereur ou par un individu qui prend le titre de Premier ministre : dès que l’arbitraire tyrannique est exercé aux dépens de la justice, c’est du despotisme. Au lieu d’un ministre responsable, l’on n’a plus, à la tête du pays,