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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/128

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propre mérite, d’un savoir médiocre, et d’un caractère à ne pas aimer la contradiction : aussi ne goûtoit-il pas le commerce des hommes ; il aimoit mieux briller seul au milieu d’un cercle de dames auxquelles il imposoit, ou qu’il flattoit plus ou moins, selon qu’elles lui plaisoient. Il faisoit des vers médiocres, et son style étoit plein d’antithèses et de pointes.

Le commerce de l’abbé Testu avec les femmes a

    tant qu’il vouloit, dans sa plus grande faveur, et à qui il disoit tout ce qui lui plaisoit ; il s’y lia de même avec madame Scarron. Il la voyoit dans ses ténèbres avec les enfans du Roi et de madame de Montespan qu’elle élevoit. Il la vit toujours et toutes les fois qu’il voulut, depuis le prodige de sa fortune ; ils s’écrivirent toute leur vie souvent, et il avoit un vrai crédit auprès d’elle ; il étoit un ami de tout ce qui l’approchoit le plus et en grand commerce surtout avec M. de Richelieu et sa femme, dame d’honneur, et avec madame d’Heudicourt et madame de Montchevreuil. Il avoit une infinités d’amis considérables dans tous les états, ne se contraignoit pas pour un, pas même pour madame de Maintenon ; ne l’avoit pas qui vouloit. C’est un des premiers hommes qui aient fait connoître ce qu’on appelle des vapeurs ; il en étoit désolé, avec un tic qui, à tous les momens, lui démontoit tout le visage. Il primoit partout ; on en rioit, mais on le laissoit faire.


    « Il étoit très bon ami et serviable, et il a fait sous la cheminée beaucoup de grands plaisirs, et avancé, et fait même des fortunes ; avec cela, simple, sans ambition, sans intérêt, et bon homme et honnête homme ; mais fort vif, fort dangereux et fort difficile à pardonner, et même à ne pas poursuivre quiconque l’avoit heurté. Il étoit grand, maigre et blond, et à quatre-vingts ans il se faisoit verser peu à peu une aiguière d’eau à la glace sur sa tête pelée, sans qu’il en tombât goutte à terre ; et cela lui arrivoit souvent depuis beaucoup d’années ; il a fort servi l’archevêque d’Arles, depuis cardinal de Mailly, et grand nombre d’autres, rompu le cou aussi à quelques-uns. Ce fut une perte pour ses amis, et une encore pour la société. C’étoit en tout un homme fort considéré et recherché jusqu’au bout. »