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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/89

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quoi ! madame, reprit madame de Montespan, faut-il, parce que je fais un mal, faire tous les autres[1] ?

Enfin, ce jubilé dont je viens de-parler arriva[2]. Ces deux amans, pressés par leur conscience, se séparèrent de bonne foi, ou du moins ils le crurent. Madame de Montespan vint à Paris, visita les églises, jeûna, pria et pleura ses péchés ; le Roi, de son côté, fit tout ce qu’un bon chrétien doit faire. Le jubilé fini, gagné ou non gagné, il fut question de savoir si madame de Montespan reviendroit à la cour.

  1. Ces singuliers scrupules n’étaient pas rares à la cour du grand roi ; la princesse Palatine cite un exemple identique à celui de madame de Montespan « Un jour, le Dauphin (fils de Louis XIV), fit venir La Raisin (comédienne), à Choisy, et la cacha dans un moulin sans manger ni boire, car c’était jour de jeûne ; il pensait que le plus grand de tous les péchés était de manger de la viande un jour maigre. Après le départ de la cour, il lui donna pour tout souper de la salade et du pain rôti dans l’huile. La Raisin en a bien ri elle-même et l’a raconté à plusieurs personnes. L’ayant appris, je demandai au Dauphin à quoi il avait pensé en faisant jeûner ainsi sa maîtresse ; il me dit : Je voulais bien faire un péché, mais pas deux et il rit lui-même de bon cœeur. » (Lettre du 13 janvier, 1719.)
  2. M. Asselineau, dans son édition des Souvenirs, fait à propos de ce passage la réflexion suivante : « Madame de Caylus tombe ici dans une erreur de date qui a été partagée par Rulhières dans ses Éclaircissements historiques sur la Révocation de l’édit de Nantes. La séparation passagère du Roi et de madame de Montespan n’eut point lieu à l’époque du jubilé de 1676, mais pendant la semaine sainte de l’année 1675. Madame de Caylus, qui n’arriva à la cour qu’en 1681, rapporte ici ce qu’elle a entendu dire ; cette erreur a pu facilement lui échapper. Et Sainte-Beuve lui répond spirituellement « Que nous fait le jubilé un an plus tôt ou plus tard ? L’essentiel est qu’on le retrouve dans la physionomie de cette fille du roi et de madame de Montespan. » (Cette fille fut mademoiselle de Blois, dont il est question ci-après, et qui épousa Philippe d’Orléans, le Régent.)