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LIVRE PREMIER

fracassèrent les deux jambes à la fois. Ses amis qui étaient avec lui restèrent sur les bords du précipice sains et saufs ; mais grande fut leur frayeur et leur stupéfaction, surtout en pensant aux paroles ironiques que Pierino venait de prononcer à l’instant.

Dès que mon père eut appris cette nouvelle, il courut chez Pierino, et, en présence de Niccolaio de Volterra, son père, lequel était trompette de la république, il lui dit : — « Oh ! Pierino, mon cher disciple, je suis bien affligé de ton malheur, mais tu dois te souvenir que je t’en ai averti, il y a peu de temps. Ainsi s’accompliront mes prédictions sur tes enfants et les miens. » — Quelques jours après, l’ingrat Pierino mourut de ses blessures. Il laissa une femme impudique qui vint à Rome quelques années plus tard me demander l’aumône. Je ne la lui refusai point, tant il est dans ma nature d’être charitable, et puis je ne pouvais songer sans larmes à la prospérité dont jouissait Pierino quand mon père lui prédit que ses fils viendraient un jour implorer notre pitié. — Mais en voilà bien assez sur ce sujet, j’ajouterai seulement que personne ne doit jamais se moquer des pronostics d’un homme de bien qu’il aura injurié, parce que souvent ce n’est plus un mortel qui parle, mais la voix de Dieu même.

Grâce à mes travaux d’orfèvrerie, je fus en état d’aider mon bon père. Ainsi que je l’ai dit plus haut, mon jeune frère Cecchino avait reçu quelque teinture des lettres latines, parce qu’on désirait faire de lui un grand jurisconsulte, comme de moi un grand musicien ; mais on ne put vaincre ses dispositions naturelles, pas plus que les miennes. Je m’appliquai au dessin, et mon frère, qui était bien taillé, d’une tournure gracieuse et d’humeur tout à fait guerrière, partit sous les ordres de l’illustre seigneur Jean de Médicis. In jour, j’étais absent de la maison paternelle lorsqu’il y revint. Comme sa garde-robe était moins bien