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Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/45

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LIVRE PREMIER

Ce Torrigiano était un fort bel homme, et d’une audace extrême ; à ses gestes étonnants, à sa voix sonore et à un certain froncement de sourcils capable d’épouvanter les plus braves, on l’aurait pris plutôt pour un farouche soldat que pour un sculpteur. Il parlait sans cesse de ses hauts faits avec ces animaux d’Anglais.

Un jour, il vint à parler de Michel-Ange Buonarroti, à propos d’un dessin que j’avais fait d’après un carton de ce divin maître[1].

Ce carton fut le premier chef-d’œuvre où Michel-Ange déploya son merveilleux génie. Il le fit en concurrence de celui de Léonard de Vinci, qui, comme le sien, était destiné à la salle du conseil du palais de la Seigneurie. Chacun de ces cartons représentait un épisode de la guerre de Pise[2]. L’admirable Léonard de Vinci avait choisi pour sujet un groupe de cavaliers se disputant un drapeau. Il s’acquitta de sa tâche aussi divinement qu’on puisse l’imaginer[3]. Michel-Ange Buonarroti représenta des soldats florentins se baignant dans l’Arno, lorsque tout à coup, la trompette ayant sonné le rappel, tous s’empressent de courir aux armes. Les gestes, les attitudes, les mouvements de ces personnages nus sont tels, que ni les anciens ni les modernes n’ont jamais rien produit d’aussi parfait. Je répéterai cependant que l’œuvre de Léonard était aussi d’une beauté extraordinaire. Ces deux cartons restèrent, l’un dans le palais Médicis, l’autre dans la salle du pape. Tant qu’ils

  1. Nous n’aurons pas la témérité d’essayer de donner en quelques lignes une notice sur Michel-Ange. Nous renvoyons à la biographie que Vasari, son ami et son élève, a tracée avant tant de fidélité. — Voy. Vie de Michel-Ange, t. V, p. 106-311, L. L.
  2. Cellini se trompe. Le carton du Vinci représentait le combat d’Anghiari où Niccolo Piccinino fut vaincu par les Florentins. — Voy. Vasari, t. IV, p. 17-18. L. L.
  3. Léonard naquit à Vinci, dans le Valdarno, en 1452, et mourut en 1519. Peintre, sculpteur, architecte, ingénieur, poète, musicien, philosophe, physicien, anatomiste, mécanicien, mathématicien, il fut l’encyclopédiste par excellence de son époque. Il savait tout, excellait dans tout, et son grand œuvre fut de communiquer sa science à tous. L. L.