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LIVRE PREMIER

passe sous silence d’autres aventures de ce genre, malgré l’attrait qu’elles peuvent offrir ; mais je préfère m’occuper de mon art, pour lequel j’ai entrepris d’écrire, et ce sujet ne me fournira que trop à parler.

Bien que je fusse poussé par une honnête émulation a produire quelque pièce d’orfèvrerie qui égalât ou même surpassât celles de l’habile Lucagnolo, je ne renonçai jamais néanmoins à la joaillerie. Ces deux arts me rapportaient beaucoup de profit et encore plus d’honneur ; dans l’un et dans l’autre je faisais continuellement des ouvrages qui ne ressemblaient à aucun de ceux de mes concurrents.

À cette époque il y avait à Rome un vaillant homme de Pérouse, nommé Lautizio[1]. Il n’exerçait qu’un seul art, mais aussi il y était unique au monde. — Chaque cardinal, à Rome, a un cachet où sont gravées ses armes, accompagnées de nombreuses figures. Ces cachets sont à peu près de la dimension de la main d’un enfant de douze ans. Lorsqu’ils sont bien faits, ils se payent cent écus, et même plus. Je portais une louable envie au talent que Lautizio déployait dans ce genre de travail, qui cependant a si peu de rapports avec les autres branches de l’orfèvrerie, comme le prouvait, du reste, ce Lautizio, qui ne savait faire que des cachets. Je me livrai donc à l’étude de cet art, où je rencontrai d’énormes difficultés ; mais, sans jamais me laisser rebuter par la fatigue, je travaillai sans relâche à profiter et à apprendre.

Il y avait encore à Rome un autre éminent artiste, Milanais de nation, que l’on appelait messer Caradosso[2]. Il

  1. Benvenuto parle au long de ce Lautizio dans le chapitre VI de son Traité de l’Orfèvrerie, que l’on trouve dans le volume suivant. L. L.
  2. Ambrogio Foppa, surnomme Caradosso, naquit à Pavie. Il apportait à ses ouvrages un soin extraordinaire, mais aussi une lenteur extrême. Un jour, un seigneur espagnol, irrité de ce qu’il ne lui livrait point un bijou à l’époque convenue, l’appela Cara de Oso, c’est-à-dire visage d’ours. Foppa, qui ne comprenait point l’espagnol, trouvant ce nom harmonieux, se l’appliqua. Il voulut ensuite le quitter, lorsqu’il en apprit la signification ; mais il était trop tard : ses compatriotes le lui conservèrent malgré lui. L’his-