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LIVRE PREMIER

Rome : plusieurs de mes camarades en étant morts, je pris le parti de me séquestrer. Grâce à ce moyen, j’avais réussi à rester sain et sauf, lorsqu’un soir, un de mes amis amena souper chez moi une courtisane bolonaise nommée Faustina. Cette femme, malgré ses trente ans, était très-belle. Elle avait avec elle une petite servante âgée de treize à quatorze ans. Comme la Faustina appartenait à mon ami, je ne l’aurais pas touchée pour tout l’or du monde. Elle eut beau m’assurer qu’elle était éperdument éprise de moi, je me refusai à tromper mon ami. Mais dès qu’ils furent au lit, j’enlevai la petite servante, qui était complètement novice, de sorte qu’il lui serait arrivé malheur si sa maîtresse l’eût su. Je passai donc la nuit bien plus agréablement que je ne l’aurais fait avec la Faustina. À l’heure du repas, au moment où j’allais manger, pour réparer mes fatigues, car j’avais couru plusieurs milles, je ressentis un violent mal de tête, mon bras gauche se couvrit de bubons, et il se forma un charbon sur la partie externe de ma main gauche. Tous ceux qui étaient chez moi furent frappés de terreur : mon ami et ses deux femelles s’enfuirent.

Je demeurai seul avec un pauvre petit apprenti qui ne consentit jamais à m’abandonner. J’avais le cœur affreusement oppressé, et j’étais convaincu que j’allais mourir. Sur ces entrefaites, passa dans la rue le père de mon apprenti, qui était attaché à la personne du cardinal Jacoacci, en qualité de médecin. — « Venez, mon père, lui cria le brave garçon, venez voir Benvenuto, qui est retenu au lit par une petite indisposition. » — Sans songer à ce que pouvait être cette indisposition, le médecin accourut près de moi. Dès qu’il m’eut tâté le pouls, il vit et sentit, à son grand regret, ce dont il s’agissait. — « Oh ! traître d’enfant ! dit-il aussitôt il son fils, tu m’as ruiné ! Comment pourrai-je maintenant me présenter devant le cardinal ? » — « Mon maître, lui répliqua son fils, vaut cent fois mieux que tous les cardinaux