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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

Un dimanche soir, pendant l’été, nous fûmes invités à souper par le sculpteur Michelagnolo de Sienne. Le Bacchiacca était un des convives. Il avait amené la Pantasilea, que l’on plaça à table entre lui et moi. Au plus beau du souper, la Pantasilea se leva en disant qu’elle voulait sortir, parce qu’elle était un peu souffrante, mais qu’elle rentrerait à l’instant. Pendant que nous mangions et devisions joyeusement, son absence se prolongea plus que de raison. Je prêtai l’oreille, et il me sembla que l’on ricanait tout bas dans la rue. J’avais à la main un couteau de table. La fenêtre était si près de moi, qu’il me suffit de me lever un peu pour apercevoir Pantasilea avec Luigi Pulci ; puis, j’entendis ce dernier qui disait : — « Oh ! si ce diable de Benvenuto nous voyait, malheur à nous ! » — N’ayez pas peur de lui, répondit la Pantasilea, écoutez le bruit qu’ils font, ils pensent à tout autre chose qu’à nous. » — À ces mots, certain de les avoir bien reconnus, je sautai par la fenêtre, je saisis Luigi par sa cape, et, à coup sûr, je l’aurais tué avec mon couteau, s’il n’eût été monté sur un petit cheval, auquel il donna de l’éperon, en me laissant sa cape entre les mains, pour sauver sa vie. La Pantasilea se réfugia dans une église voisine. Tous les convives se levèrent aussitôt, accoururent vers moi, et me supplièrent de ne causer du tourment ni à moi ni à eux pour une catin. Je leur répondis que pour elle je n’aurais pas bougé, mais que je ne pouvais pardonner à ce scélérat qui semblait faire si peu de cas de moi. Ces braves gens eurent beau redoubler leurs instances, je ne me laissai pas fléchir.

Je pris mon épée, et je m’en allai seul vers les Prati. La maison où nous avions soupé était voisine de la porte du château qui conduisait aux Prati. Je suivais donc ce chemin, lorsque je m’aperçus que le soleil se couchait. Je rentrai alors dans Rome à pas lents. La nuit était arrivée, mais on n’avait pas encore fermé les portes de la ville.