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Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/97

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LIVRE PREMIER

Vers les deux heures, je rôdai près de la maison de Pantasilea, résolu, si j’y rencontrais Luigi Pulci, à leur jouer à tous deux un mauvais coup. M’étant assuré qu’il n’y avait au logis qu’une servante nommée la Canida, j’allai déposer chez moi ma cape et le fourreau de mon épée ; puis, je revins à la maison de Pantasilea, qui était située derrière les Banchi, sur le bord du Tibre. Vis-à-vis était le jardin d’un tavernier, nommé Romolo. Le jardin était enclos d’une épaisse haie d’épines dans laquelle je me cachai debout, bien décidé à attendre que Pantasilea rentrât chez elle avec Luigi.

Au bout de quelques instants, arriva mon ami Bacchiacca qui, soit qu’il eût deviné où j’étais, soit qu’on le lui eût appris, m’appela à voix basse du nom de compère, que nous avions coutume de nous donner en plaisantant. Il me supplia, pour l’amour de Dieu, de renoncer à mon dessein, et ce fut presque en pleurant qu’il me dit : — « Compère, je vous en prie, ne faites point de mal à cette pauvrette, car elle n’a rien au monde à se reprocher. » — « Si vous ne vous retirez à la minute, lui répondis-je, je vous fends la tête avec cette épée. » — Mon pauvre compère, épouvanté, fut assailli d’une si pressante colique, qu’à quelques pas de là il fut obligé de la satisfaire. Le ciel était couvert d’étoiles qui répandaient une brillante clarté.

Tout à coup j’entendis les pas de plusieurs chevaux qui s’avançaient de côté et d’autre. Bientôt parurent Luigi et la Pantasilea, en compagnie d’un certain messer Benvegnato de Pérouse, camérier du pape Clément : quatre vaillants capitaines pérugins et d’autres braves et jeunes militaires les suivaient. Il y avait en tout plus de douze épées. Quand je vis cela, ne sachant pas par quel chemin m’enfuir, je cherchai à m’enfoncer autant que possible dans la haie. Les épines aiguës me causaient une vive douleur, et me rendaient comme un taureau furieux. J’étais