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contes japonais.

Non pas, certes, que jamais les hôtes de la forêt eussent causé quelque dommage dans les environs ; on ignorait même qu’elle en eût, car ce qui, précisément, contribuait à répandre dans le pays cette terreur mystérieuse, c’était son calme profond, sa sombre masse de verdure, l’atmosphère lourde semblant planer au-dessus des arbres ; on avait remarqué aussi, ou cru remarquer, tout au moins, que le vent n’avait aucune prise sur elle ; que le torrent qui en sortait roulait parfois des eaux rougeâtres, comme teintes de sang ; que souvent s’élevait de ses profondeurs obscures, sans chemins et sans clairières, un concert étrange, confus, où des cris d’animaux semblaient se mêler à des plaintes humaines… Mais en était-on bien sûr ? Car si on en approchait peu, on y pénétrait moins encore, et nul ne pouvait dire qu’il eût souffert directement de la forêt enchantée ou de ses habitants.

Néanmoins, soit crainte superstitieuse, soit dépit de n’oser pénétrer dans cette forêt et exploiter ses richesses, toujours est-il que les alentours se dépeuplaient. La terre était au premier occupant. Aussi y venait-il facilement des aventuriers, ou de ces pauvres gens qui ne s’effraient de rien, n’ayant rien à perdre.

Hanko tenait à la fois des deux. Il avait été longtemps intendant d’un daïmio : et à servir un maître si puissant, il avait su faire profiter sa bourse, exigeant toujours davantage du paysan et donnant toujours moins au seigneur, si bien qu’un jour celui-ci, déposant son sabre sur le cahier des comptes que l’intendant venait de lui présenter, lui dit :

— Hanko, tu es un voleur !

Hanko se vit perdu :

— Seigneur, balbutia-t-il, voici mes comptes, examinez-les ; vous verrez que votre fidèle intendant…

— Hanko, tu es un voleur, reprit le daïmio. Je n’entends rien à tes comptes et je ne veux pas les voir. Je te fais grâce de la vie pour un jour… Tu me comprends ?