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la forêt enchantée.

Entendre discuter, lorsqu’on a cru être dévoré sur-le-champ, c’est déjà fort beau ! Donc l’infortuné trouva bon de gagner du temps en contant par le menu sa misère pitoyable et celle de ses enfants.

Ici, l’aigle l’interrompit :

— Tu as trois filles, dit-il, donne-moi l’aînée en mariage, et je te fais grâce de la vie.

Shiya, la belle et douce Shiya, en pâture à un pareil monstre ! Hanko eut un frisson ! Mais sa frayeur était telle que, pour sortir de ce mauvais pas, il eût promis ses trois filles, et Kamô par-dessus le marché ! Il acquiesça donc à la demande bizarre ; l’aigle aussitôt le reprit délicatement par ses vêtements et le remit à terre.

En ce peu de temps, le rusé intendant avait fait nombre de réflexions, il les résuma en quelques mots avant de quitter son incommode compagnon :

— J’étais venu dans cette forêt pour me tirer de la misère, et le mariage de ma fille, quelque honorable qu’il soit pour ma famille, ne donnera pas à manger à mes autres enfants.

— Ne t’inquiète pas de ce soin, répondit l’aigle. Suivant l’usage du pays, je rachèterai ma fiancée, au prix d’un picul d’or massif ; je me rendrai chez toi d’ici peu de jours, et jusque-là je pourvoirai à tes besoins.

On se sépara. L’aigle s’éleva vers le sommet des hautes futaies, et le malheureux père, encore tout étourdi de ces événements, pressa le pas pour sortir de la forêt. Au moment où, franchissant les derniers arbres, il revoyait non sans satisfaction le chaume de sa petite maison, un chevreuil dégringola de branches en branches et vint s’abattre auprès de lui. Il était mort, la gorge ouverte, et comme il n’est pas d’usage que les chevreuils perchent au sommet des arbres, Hanko n’eut pas de peine à deviner d’où lui venait ce présent, qui lui permettait de vivre pendant quelques jours.

Revenu chez lui, et réfléchissant à tout ce qui venait de lui arri-