Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/46

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« Pour un petit brun de couleur verte, quelle est la fougueuse qui ne se perd ? »

Aussitôt Monipodio, se donnant grande hâte à remuer ses morceaux d’assiette, ajouta :

« Deux amants se querellent et font la paix ; plus la fâcherie est grande, plus grand est le plaisir. »

Alors la Cariharta ne voulut pas goûter son plaisir en silence ; elle empoigna une autre pantoufle, se mit dans la danse, et accompagna les autres en disant :

« Arrête, courroucé, ne me rosse pas davantage ; car, si tu y regardes de près, tu frappes sur tes chairs. »

« Qu’on chante tout uniment, s’écria le Repolido, et qu’on ne joue pas d’histoires passées ; il n’y a pas de quoi. Que le passé soit passé, et qu’on prenne un autre chemin, et suffit. »

Ils faisaient mine de ne pas finir de sitôt le cantique commencé, quand ils entendirent frapper à la porte à coups redoublés. Monipodio courut voir qui c’était, et la sentinelle lui dit qu’au bout de la rue venait de paraître l’Alcalde de la justice criminelle, et que devant lui marchaient le Tordillo et le Cernicalo[1], deux recors neutres. Ceux du dedans entendirent le rapport, et furent tous pris d’une telle frayeur que la Cariharta et la Escalanta chaussèrent leurs pantoufles à l’envers. La Gananciosa jeta son balai, Monipodio ses castagnettes, et toute la musique se perdit dans un affreux silence. Chiquiznaque devint muet, le Repolido perdit la carte, et les cheveux dressèrent à Maniferro. Tous enfin, l’un d’un côté, l’autre d’un autre, s’enfuirent et disparurent, montant sur les toits et les terrasses

  1. Gris-pommelé et Crécerelle.