Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/9

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muletier croyant, à les voir si jeunes, qu’ils ne sauraient pas bien le défendre, voulut leur reprendre son argent ; mais les deux gaillards, mettant à la main, l’un son demi-estoc, l’autre son couteau à manche de bois, lui donnèrent si fort à faire, que le muletier, si ses compagnons ne fussent venus au bruit, eût passé un mauvais quart d’heure. Au même instant, passait par hasard sur le chemin une troupe de voyageurs à cheval, lesquels allaient faire la sieste à l’hôtellerie de l’Alcalde, qui est à une demi-lieue plus loin. Ceux-ci, voyant la bataille du muletier contre les deux petits garçons, les séparèrent, et dirent aux derniers que si, par hasard, ils allaient à Séville, ils n’avaient qu’à s’en venir avec eux. « Nous y allons justement, dit Rincon, et nous servirons vos grâces en tout ce qu’il leur plaira de nous commander. » Puis, sans plus d’hésitation, ils se mirent à sauter devant les mules, et s’en allèrent avec les voyageurs, laissant le muletier dépouillé et furieux, et l’hôtesse très-édifiée de la bonne éducation des deux vauriens, dont elle avait entendu tout l’entretien sans qu’ils s’en aperçussent. Quand elle rapporta au muletier qu’elle leur avait ouï dire que leurs cartes étaient fausses, le malheureux s’arrachait la barbe, et voulait courir après eux à l’autre hôtellerie pour rattraper son bien. C’était, disait-il, un mortel affront, une aventure déshonorante, que deux polissons eussent trompé un homme de sa taille et de son âge. Mais ses compagnons le retinrent, et lui conseillèrent de ne point aller à leur poursuite, ne fût-ce que pour ne pas publier sa maladresse et sa niaiserie. Enfin, ils lui donnèrent de telles raisons, que, sans le con-