Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/105

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Dieu ! s’écria-t-il, seigneur Quijada (tel devait être son nom quand il était dans son bon sens, et ne s’était pas encore transformé en chevalier errant), qui vous a mis en cet état ? » Mais l’autre continuait son romance à toutes les questions qui lui étaient faites.

Le pauvre homme, voyant cela, lui ôta du mieux qu’il put le corselet et l’épaulière, pour voir s’il n’avait pas quelque blessure, mais il n’aperçut pas trace de sang. Alors il essaya de le lever de terre, et, non sans grande peine, il le hissa sur son âne, qui lui sembla une plus douce monture. Ensuite il ramassa les armes, jusqu’aux éclats de la lance, et les mit en paquet sur Rossinante. Puis, prenant celui-ci par la bride et l’âne par le licou, il s’achemina du côté de son village, tout préoccupé des mille extravagances que débitait Don Quichotte. Et Don Quichotte ne l’était pas moins, lui qui, brisé et moulu, ne pouvait se tenir sur la bourrique, et poussait de temps en temps des soupirs jusqu’au ciel. Si bien que le laboureur se vit obligé de lui demander encore quel mal il éprouvait. Mais le diable, à ce qu’il paraît, lui rappelait à la mémoire toutes les histoires accommodées à la sienne ; car, en cet instant, oubliant tout à coup Baudouin, il se souvint du More Aben-Darraez, quand le gouverneur d’Antéquéra,