Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/11

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voulait, comme Lucrèce, expliquer la nature des choses par le secours de nos connaissances modernes. Il voulait chanter l’Amérique pour faire de la faiblesse et de l’innocence ses héros ; retracer l’Art. d’aimer, si profond, si étudié dans les mœurs françaises ; enfin, dans un poème de Suzanne, s’emparer de toute la poésie des livres saints et de la primitive élégance de Jacob. Il ne confiait le secret de ces espérances qu’à bien peu de personnes. Son frère, Lebrun, MM. de Pange et de Brazais étaient à peu près tout son aréopage. Il fuyait, comme un autre les cherche, les occasions éphémères de briller, mûrissait ses talens en silence, et dédaignait l’éclair d’une réputation qui devance ses titres.

Il était livré à ces travaux assidus, quand d’imposans événemens vinrent l’arracher à cette carrière. L’année 1789 venait, de briller pour la France : les cœurs généreux palpitaient d’espoir ; et celui d’André Chénier ne pouvait demeurer indifféremment dans les intérêts des lettres, quand ceux de la patrie s’agitaient. Eût-il été digne de la poésie, s’il n’eût aimé la liberté ? Il lui prêta son appui ; quitta la langue harmonieuse, des Muses pour la pressante logique des discussions, et fit à la raison publique qui demandait à s’éclairer, le sacrifice de sa chère obscurité. Réuni à quelques écrivains de mérite entre