Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/176

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Du poids de vos grands noms nous ne gémirons plus.
Par l’ombre d’Empédocle étions-nous donc vaincus ?
Lucrèce aurait pu seule, aux flambeaux d’Epicure,
Dans ses temples secrets surprendre la nature ?
La nature aujourd’hui de ses propres crayons
Vient d’armer une main qu’éclairent ses rayons.
C’est toi qu’elle a choisi ; toi, par qui l’Hippocrène
Mêle encore son onde à l’onde de la Seine ;
Toi, par qui la Tamise et le Tibre en courroux
Lui porteront encor des hommages jaloux ;
Toi, qui la vis couler plus lente et plus facile,
Quand ta bouche animait la flûte de Sicile ;
Toi, quand l’amour trahi te fit verser des pleurs,
Qui l’entendis gémir et pleurer tes douleurs.
Malherbe tressaillit au-delà du Ténare,
À te voir agiter les rênes de Pindare ;
Aux accens de Tyrtée enflammant nos guerriers,
Ta voix fit dans nos camps renaître les lauriers.
Les tyrans ont pâli, quand ta main courroucée
Écrasa leur Thémis sous les foudres d’Alcée.
D’autres tyrans encor, les méchans et les sots,
Ont fui devant Horace armé de tes bons mots.
Et maintenant, assis dans le centre du monde,
Le front environné d’une clarté profonde,
Tu perces les remparts que t’opposent les cieux,
Et l’univers entier tourne devant tes _yeux.
Les fleuves et les mers, les vents et le tonnerre,
Tout ce qui peuple l’air et Thétis et la terre,
À ta voix accouru s’offrant de toutes parts,
Rend compte de soi-même, et s’ouvre à tes regards.