Page:Chénier - Œuvres en prose éd. Moland, 1879.djvu/127

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inutiles, si elles sont cause que d’autres, voyant ce qui me manque, prennent la plume, et disent plus et mieux que moi. Il serait bon que tous les citoyens honnêtes et bien intentionnés représentassent comme en un tableau les diverses choses qui les ont frappés. Je crois que peindre les vices, c’est travailler à leur destruction.

La peur, qui est un des premiers mobiles de toutes les choses humaines, joue aussi un grand rôle dans les révolutions. Elle prend le nom de prudence ; et sous prétexte de ne pas vouloir compromettre la bonne cause, elle reste muette devant la faction dominante, tergiverse, ne dit la vérité qu’à moitié ; et seconde par cette mollesse les entreprises d’un petit nombre d’audacieux, qui s’embarrassent peu que les gens de bien les estiment ou les approuvent, pourvu qu’ils se taisent et les laissent faire.

L’homme vertueux et libre, le vrai citoyen ne dit que la vérité, la dit toujours, la dit toute entière. Dédaignant la popularité d’un jour, n’aspirant à se rendre considérable aux yeux des hommes que par son invincible fermeté à soutenir ce qui bon et juste, il hait, il poursuit la tyrannie partout où elle se trouve. Il ne veut d’autre maître que la volonté nationale, connue et rédigée en loi ; il veut lui obéir, et que tous obéissent comme lui. Il ne feint pas de prendre pour la nation quelques centaines de vagabonds oisifs. Il n’excusera pas sans cesse avec une respectueuse terreur le patriotisme égaré de Mesdames de la Halle ; il ne veut pas plus de leurs privilèges que de ceux des femmes de cour. Des voyageurs arrêt