Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/274

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XI[1]


 
Ah ! portons dans les bois ma triste inquiétude.
Ô Camille ! l’amour aime la solitude.
Ce qui n’est point Camille est un ennui pour moi.
Là, seul, celui qui t’aime est encore avec toi.
Que dis-je ! Ah ! seul et loin d’une ingrate chérie,
Mon cœur sait se tromper. L’espoir, la rêverie,
La belle illusion la rendent à mes feux,
Mais sensible, mais tendre, et comme je la veux :
De ses refus d’apprêt oubliant l’artifice,
Indulgente à l’amour, sans fierté, sans caprice,
De son sexe cruel n’ayant que les appas.
je la feins quelquefois attachée à mes pas ;
Je l’égare et l’entraîne en des routes secrètes.
Absente, je la tiens en des grottes muettes…
Mais présent, à ses pieds m’attendent les rigueurs,
Et, pour des songes vains, de réelles douleurs.
Camille est un besoin dont rien ne me soulage ;
Rien à mes yeux n’est beau que de sa seule image.
Près d’elle, tout comme elle est touchant, gracieux ;
Tout est aimable et doux et moins doux que ses yeux.
Sur l’herbe, sur la soie, au village, à la ville,
Partout, reine ou bergère, elle est toujours Camille,
Et moi toujours l’amant trop prompt à s’enflammer,
Qu’elle outrage, qui l’aime et veut toujours l’aimer.

  1. Édition 1819.