Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/310

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Toi surtout, ô Vaucluse, ô retraite charmante !
Ô ! que j’aille y languir aux bras de mon amante ;
De baisers, de rameaux, de guirlandes lié,
Oubliant tout le monde, et du monde oublié.
Ah ! que ceux qui, plaignant l’amoureuse souffrance,
N’ont connu qu’une oisive et morne indifférence,
En bonheur, en plaisir pensent m’avoir vaincu :
Ils n’ont fait qu’exister, l’amant seul a vécu.


XXV[1]


 
Souffre un moment encor ; tout n’est que changement ;
L’axe tourne, mon cœur ; souffre encore un moment.
La vie est-elle toute aux ennuis condamnée ?
L’hiver ne glace point tous les mois de l’année.
L’Eurus retient souvent ses bonds impétueux ;
Le fleuve, emprisonné dans des rocs tortueux,
Lutte, s’échappe, et va, par des pentes fleuries,
S’étendre mollement sur l’herbe des prairies.
C’est ainsi que, d’écueils et de vagues pressé,
Pour mieux goûter le calme, il faut avoir passé,
Des pénibles détroits d’une vie orageuse,
Dans une vie enfin plus douce et plus heureuse.
La Fortune, arrivant à pas inattendus
Frappe, et jette en vos mains mille dons imprévus :
On le dit. Sur mon seuil jamais cette volage
N’a mis le pied. Mais quoi ! son opulent passage,
Moi qui l’attends plongé dans un profond sommeil,

  1. Édition 1819.