Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/327

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Malherbe tressaillit au-delà du Ténare
À te voir agiter les rênes de Pindare ;
Aux accents de Tyrtée enflammant nos guerriers,
Ta voix fit dans nos camps renaître les lauriers.
Les tyrans ont pâli, quand ta main courroucée
Écrasa leur Thémis sous les foudres d’Alcée[1].
D’autres tyrans encor, les méchants et les sots,
Ont fui devant Horace armé de tes bons mots[2] ;
Et maintenant, assis dans le centre du monde,
Le front environné d’une clarté profonde,
Tu perces les remparts que t’opposent les cieux,
Et l’univers entier tourne devant tes yeux.
Les fleuves et les mers, les vents et le tonnerre,
Tout ce qui peuple l’air, et Thétis et la terre,
À ta voix accouru, s’offrant de toutes parts,
Rend compte de soi-même et s’ouvre à tes regards.
De l’erreur vainement les antiques prestiges
Voudraient de la nature étouffer les vestiges ;
Ta main les suit partout, et sur le diamant
Ils vivront, de ta gloire éternel monument.
Mais toi-même, Le Brun, que l’amour d’Uranie
Guide à tous les sentiers d’où la mort est bannie ;
Qui, roi sur l’Hélicon, de tous ses conquérants
Réunis dans ta main les sceptres différents ;
Toi-même, quel succès, dis-moi, quelle victoire
Chatouille mieux ton cœur du plaisir de la gloire ?
Est-ce lorsque Buffon et sa savante cour
Admirent tes regards qui fixent l’œil du jour ?

  1. Voir Le Brun, l. V, od. xv.
  2. Voir Le Brun, l. I, épit. i.