Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est déjà celui de la chute du trône, lui paraît pouvoir être le point de départ d’une Restauration idéale dont il trace un tableau chimérique et embelli. Le poète se retrouve ici avec son illusion. Mais non, c’est encore l’homme de cœur et le valeureux citoyen qui, sans se soucier du succès et bravant le péril, ne peut étouffer le cri de ses entrailles. Il suppose à tous ceux qui pensent comme lui autant de courage qu’à lui : « Que tous les citoyens dont les sentiments sont conformes à ceux que contient cet écrit (et il n’est pas douteux que ce ne soit la France presque entière) rompent enfin le silence. Ce n’est pas le temps de se taire… Élevons tous ensemble une forte clameur d’indignation et de vérité. »

C’est cette forte clameur qui manqua et qui manquera toujours en pareille circonstance, quand les choses en seront venues à ces extrémités ; car, ainsi que lui-même le remarque tout à côté, « le nombre dos personnes qui réfléchissent et qui jugent est infiniment petit ». L’indolence parisienne est de tout temps connue ; et si des peuples anciens élevèrent des temples et des autels à la Peur, on peut dire (c’est Chénier qui parle à la date de 92) que jamais cette divinité « n’eut de plus véritables autels qu’elle n’en a dans Paris ; que jamais elle ne fut honorée d’un culte plus universel ».

La politique d’André Chénier dans son ensemble se déduirait donc pour nous très-nettement en ces termes : Ce n’est point une action concertée et suivie, c’est une protestation individuelle, logique de forme, lyrique de source et de jet, la protestation d’un hon-