Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/84

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rhythme aussi neuf qu’harmonieux, le sentiment de la nature et de la solitude, d’une nature grande, cultivée et même pompeuse, toute peuplée de souvenirs de grandeur auguste et de deuil, et comme ennoblie ou attristée d’un majestueux abandon. Il y a là l’Élégie royale dans toute sa gloire, puis, tout à côté, le mystère d’un réduit riant et studieux couronné de rameaux, et propice au rêve du poète, au rêve de l’amant. Car il aime, il revit, il espère ; il va chanter comme autrefois, et la source d’harmonie va de nouveau abonder dans son cœur et sur ses lèvres. Mais, tout à coup, devant les yeux lui repasse l’image des horreurs publiques, et alors le sentiment vertueux et stoïque revient dominer le sentiment poétique et tendre. L’homme juste et magnanime se réveille, et la vue des innocents égorgés corrompt son bonheur. Tel est, dans cette admirable pièce, l’ordre et la suite des idées, dont chacune revêt tour à tour son expression la plus propre, l’expression hardie à la fois, savante et naïve.

Enfin, pour achever de dessiner cette noble figure d’un poète honnête homme et homme de cœur qui, dans la plus horrible révolution moderne, comprit et pratiqua le courage et la vertu au sens antique des Thucydide et des Aristote, des Tacite et des Thraséas, il ne faut que transcrire cette page testamentaire trouvée dans ses papiers, et où il s’est peint lui-même à nu devant sa conscience et devant l’avenir :

Il est las de partager la honte de cette foule immense qui en secret abhorre autant que lui, mais qui approuve