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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/100

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Que leurs yeux un moment ne le connaissent pas ;
Qu’un jour entre eux et lui s’élève avec murmure
D’insectes ennemis une nuée obscure ;
N’importe, il les instruit, il les aime pour eux.
Même ingrats, il est doux d’avoir fait des heureux.
Il sait que leur vertu, leur bonté, leur prudence,
Doit être son ouvrage et non sa récompense,
Et que leur repentir, pleurant sur son tombeau,
De ses soins, de sa vie, est un prix assez beau,
Au loin dans l’avenir sa grande âme contemple
Les sages opprimés que soutient son exemple ;
Des méchants dans soi-même il brave la noirceur :
C’est là qu’il sait les fuir ; son asile est son cœur.
De ce faîte serein, son Olympe sublime,
Il voit, juge, connaît. Un démon magnanime
Agite ses pensers, vit dans son cœur brûlant,
Travaille son sommeil actif et vigilant,
Arrache au long repos sa nuit laborieuse,
Allume avant le jour sa lampe studieuse,
Lui montre un peuple entier, par ses nobles bienfaits,
Indompté dans la guerre, opulent dans la paix,
Son beau nom remplissant leur cœur et leur histoire,
Les siècles prosternés au pied de sa mémoire.

Par ses sueurs bientôt l’édifice s’accroît.
En vain l’esprit du peuple est rampant, est étroit,
En vain le seul présent les frappe et les entraîne,
En vain leur raison faible et leur vue incertaine
Ne peut de ses regards suivre les profondeurs,
De sa raison céleste atteindre les hauteurs ;
Il appelle les dieux à son conseil suprême.