Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/200

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Soit plutôt que, passant et vallons et rivières,
J’aie au loin parcouru les terres étrangères.
D’un vaste champ de fleurs je tire un peu de miel.
Tout m’enrichit et tout m’appelle ; et, chaque ciel
M’offrant quelque dépouille utile et précieuse.
Je remplis lentement ma ruche industrieuse[1].
Une pauvreté mâle est mon unique bien.
Je ne suis rien, n’ai rien, n’attends rien, ne veux rien.
Quel prince est libéral, et quel est méchant homme,
Est un soin qui jamais ne troublera mon somme.


Pour moi, sans vouloir proposer mon exemple pour modèle, je ne suis jamais plus content que lorsqu’un ami me rapporte qu’une société de ces grands qui protègent a entendu mon nom avec étonnement, s’en est informé ; que jamais ils n’ont entendu mon nom ;


Que jamais à leur table on ne m’ouït rien lire ;
Que les journaux fameux n’ont point connu ma lyre.


Ils demandent, ils interrogent, ils s’étonnent qu’il ait osé avoir de l’esprit loin d’eux ;


Que les muses jamais, pour plaire à l’univers,
N’ont dans leur almanach enregistré mes vers.


Non que je veuille rire aux dépens de la naissance unie aux talents, mais ceux qui ont de vrais talents ne protègent point…

Haïssant également de la part de ceux qui m’écouteraient lire :


Les éloges pompeux d’hyperbole échauffés ;
Les bâillements muets en silence étouffés ;

  1. Ce morceau, depuis Il n’est que d’être roi, a paru dans l’édition de 1819.