Eh bien ! j’ai trop vécu. Quelle franchise auguste[1],
De mâle constance et d’honneur
Quels exemples sacrés doux à l’âme du juste,
Pour lui quelle ombre de bonheur,
Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles,
Quels pleurs d’une noble pitié,
Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,
Quels beaux échanges d’amitié,
Font digne de regrets l’habitacle des hommes ?
La peur blême et louche est leur Dieu,
La bassesse, la fièvre[2]… Ah ! lâches que nous sommes !
Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu.
Vienne, vienne la mort ! que la mort me délivre !…
Ainsi donc, mon cœur abattu
Cède au poids de ses maux ! — Non, non, puissé-je vivre !
Ma vie importe à la vertu.
Car l’honnête homme enfin, victime de l’outrage,
Dans les cachots, près du cercueil,
Relève plus altiers son front et son langage,
Brillant d’un généreux orgueil.
S’il est écrit aux cieux que jamais une épée
N’étincellera dans mes mains ;
Dans l’encre et l’amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.
Justice, vérité, si ma main, si ma bouche,
Si mes pensers les plus secrets
Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/312
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.