Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/313

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Ne froncèrent jamais votre sourcil farouche,
Et si les infâmes progrès,
Si la risée atroce, ou plus atroce injure,
L’encens de hideux scélérats,
Ont pénétré vos cœurs d’une large blessure,
Sauvez-moi. Conservez un bras
Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois !
Ces vers cadavéreux de la France asservie,
Égorgée ! ô mon cher trésor,
Ô ma plume, fiel, bile, horreur, dieux de ma vie !
Par vous seuls je respire encor[1],
Comme la poix brûlante agitée en ses veines
Ressuscite un flambeau mourant.
Je souffre ; mais je vis. Par vous, loin de mes peines,
D’espérance un vaste torrent
Me transporte. Sans vous, comme un poison livide,
L’invisible dent du chagrin,
Mes amis opprimés, du menteur homicide
Les succès, le sceptre d’airain,
Des bons proscrits par lui la mort ou la ruine,
L’opprobre de subir sa loi,
Tout eût tari ma vie, ou contre ma poitrine
Dirigé mon poignard. Mais quoi !
Nul ne resterait donc pour attendrir l’histoire[2]

  1. L’édition de 1819 s’arrêtait ici.
  2. Elle reprenait avec ce vers ainsi écrit :
    Quoi ! nul ne restera pour attendrir l’histoire !