Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/330

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de leur famille, de leur argent, de leurs places ; qu’ils ne m’accusent point de mensonge parce que je n’ai point voulu mentir pour eux ; qu’ils ne feignent point d’appeler la vérité, ce qu’ils ont intérêt qu’on prenne pour la vérité. Pour moi, j’ai dit ce qui m’a semblé être elle, avec franchise et candeur, aussi éloigné de flatter que d’offenser, désirant peu les suffrages, redoutant peu les critiques, très-permises et trop justes peut-être si elles attaquent mon ouvrage ; méprisables et peu dangereuses si elles ne s’en tiennent point là. Enfin mon plus cher désir, en composant cet écrit, a été (puissé-je l’avoir rempli) de faire trouver à mes lecteurs, que si une créature étrangère à l’espèce humaine, un habitant d’un autre globe, s’occupant néanmoins des hommes et les étudiant, eût voulu écrire d’eux et de leurs institutions, son ouvrage ne pourrait point être fait dans un autre esprit que le mien ; que la postérité, en le lisant, y cherche vainement qui j’étais, où j’ai vécu, à quel Corps, à quel parti j’ai pu tenir, et que la tranquillité modeste et hardie de mon style et de mes pensées lui fasse imaginer même que j’écrivais sans doute dans un de ces siècles heureux où, pour citer encore un de mes auteurs favoris[1] i, on est libre de penser ce que l’on veut et d’écrire ce que l’on pense.

  1. Tacite, I : « Rara temporum felicitate, ub ; sentire quæ velis et quæ sentias dicere licet. »