Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et n’oser, immobile en un obscur sommeil,
S’aller perdre jamais dans les feux du soleil[1] ?

(1782).


FRAGMENT INÉDIT[2]

 
Ah ! ne le croyez pas que par moments j’oublie
Et mon cœur, et l’amour, extase, poésie,
Vous surtout, belle et douce à mes rêves secrets,
Vous dont les purs regards font les miens indiscrets.
Sans doute c’est plaisir d’oublier à son aise
La tenace douleur qui déchire ou qui pèse,
Les ennuis au fiel noir, l’argent que l’on nous doit,
L’avenir et la mort qui nous montre du doigt,
Tout ce qui se résout en larmes chez les femmes…
Les petits maux souvent veulent de fortes âmes.
Mais aussi dans la paix voluptueux penseur,
Je suis de ma mémoire absolu possesseur ;
Je lui prête une voix, puissante magicienne
Comme aux brises du soir, une harpe éolienne,
Et chacun de mes sens résonne à cette voix ;
Mon cœur ment à mes yeux, absente je vous vois ;
Alors je me souviens des amis que je pleure,
Des temps qui ne sont plus, d’un espoir qui me leurre,

  1. Ce fragment paraît se rattacher à l’épître à M. Bailly. Voy. p. 20, dernier paragraphe.
  2. Ces vers ont été imprimés sous ce titre et avec la signature du poète dans les Annales romantiques (1831), retrouvés par M. Becq de Fouquière ; dans ce recueil et réimprimés dans le Temps, du 29 octobre 1878. Quoiqu’ils n’aient point de date, la faiblesse de ces vers permet de les ranger parmi les œuvres de jeunesse.