Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/361

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De la riche nature apparue à mes yeux,
De mes songes d’hier toujours vains, mais joyeux,
De mes projets en l’air… que sais-je ? Galathée
De marbre, qui s’anime aux feux de Prométhée…
Ce qui me rit un jour, plus tard je m’en souvien,
Trop oublieux du mal et souvenant du bien.



ÉLÉGIE[1]


Ami, de mes ardeurs, quoi ! ta plume ose rire !
Quoi ! tu ris de l’amour, tu ris de son empire !
Imprudent, c’est l’amour que tu viens outrager !
Ah ! tremble, malheureux, il aime à se venger.
C’est toi-même aiguiser le trait qu’il te destine ;
Toi-même sous tes pieds c’est creuser ta ruine.
J’ai vu de ces rieurs qui, fiers dans leurs beaux jours,
insultaient à nos fers, à nos pleurs, aux amours,
Vieux, gémir sous le joug d’une jeune inhumaine ;
Fatiguant leurs habits d’une richesse vaine.
Cachant leurs cheveux blancs, se traîner à ses pieds,
L’accabler de leurs dons mille fois envoyés ;
Et d’une faible voix leurs lèvres palpitantes
Bégayer en pleurant des caresses tremblantes.
Alors en les voyant le jeune homme à son tour
Rit des justes revers de leur antique amour.

  1. Cette élégie a été publiée, d’après un manuscrit, par M. Becq de Fouquières dans le Temps du 5 novembre 1878. Elle n’est point datée ; elle devait être la vingt-neuvième, André Chénier a écrit en tête le nombre 29. Elle est imitée d’un passage de Tibulle, livre I, élég. 2, et adressée, ainsi qu’on peut le conjecturer, à François de Pange.