Des terrestres esprits l’œil épais et vulgaire.
Seule, de mots heureux, faciles, transparents,
Elle sait revêtir ces fantômes errants :
Ainsi des hauts sapins de la Finlande humide,
De l’ambre, enfant du ciel, distille l’or fluide,
Et sa chute souvent rencontre dans les airs
Quelque insecte volant qu’il porte au fond des mers ;
De la Baltique enfin les vagues orageuses
Roulent et vont jeter ces larmes précieuses
Où la fière Vistule, en de nobles coteaux,
Et le froid Niémen expirent dans ses eaux.
Là, les arts vont cueillir cette merveille utile,
Tombe odorante où vit l’insecte volatile :
Dans cet or diaphane il est lui-même encor ;
On dirait qu’il respire et va prendre l’essor.
Qui que tu sois enfin, ô toi, jeune poète,
Travaille, ose achever cette illustre conquête.
De preuves, de raisons, qu’est-il encor besoin ?
Travaille. Un grand exemple est un puissant témoin.
Montre ce qu’on peut faire en le faisant toi-même.
Si pour toi la retraite est un bonheur suprême ;
Si chaque jour les vers de ces maîtres fameux
Font bouillonner ton sang et dressent tes cheveux ;
Si tu sens chaque jour, animé de leur âme,
Ce besoin de créer, ces transports, cette flamme,
Travaille. À nos censeurs c’est à toi de montrer
Tous ces trésors nouveaux qu’ils veulent ignorer.
Il faudra bien les voir, il faudra bien se taire
Quand ils verront enfin, cette gloire étrangère
De rayons inconnus ceindre ton front brillant.
Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/75
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