Page:Chair molle.djvu/162

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Lucie rentra dans la chambre. Elle examina le lit, les oreillers déjetés, une cigarette oubliée sur la table. Elle se rappela cette dernière nuit, une nuit d’adieux qui avait été un long embrassement. Sans doute Charles lassé aurait peine à faire un si long voyage. Mais aussi comme il pourrait se reposer à Dunkerque. Plus de femme, là, pour supprimer son sommeil. Le pauvre garçon ! Lui qui aimait tant se serrer à elle !

Elle dormirait seule, elle aussi ; comme ce devait être ennuyeux ne plus se voir aimer, ne plus sentir en dormant le contact des lèvres fines collées à sa chair. C’était bien fini. Tous deux allaient rester sages durant un mois. Oh ! certainement elle resterait sage, elle n’y voulait point même songer. L’idée d’une infidélité faite à Charles lui paraissait monstrueuse.

Elle entendait le bruit gagner la place, grandir. C’était comme des tâtonnements musicaux, des sons de clairons, d’abord très courts, à de longs intervalles, ou sans fin prolongés ; des coups de tambour répétés ; une rumeur de pas et de voix.

Lucie reprit sa place, à la fenêtre. La cour maintenant était envahie : une foule rouge et bleue s’y pressait ; des commandements étaient clamés.

Mais, si elle restait seule, comme çà, à Arras, lui, peut-être, se collerait là-bas avec une autre