Page:Chair molle.djvu/163

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femme ; puis, au retour, il la pourrait lâcher, qui sait ? oh ! mais non, elle ne le voulait pas. Elle l’irait rejoindre sûrement dans quelques jours, malgré sa défense. On les connaissait leurs défenses ; un prétexte pour se débarrasser d’une maîtresse, pour lui faire des queues.

Subitement le tumulte cessa dans la caserne ; et bientôt, clairons et tambours éclatèrent, mariant leurs sons dans une mélopée invariable, qui par instants semblait vouloir s’éteindre et de nouveau renaissait infinie. De la grille, les lignards débouchèrent dans une marche automatique avec un rythme de pas cadencés, frappant le sol régulièrement. Ce fut d’abord l’avant-garde, une double rangée de soldats à barbe, la nuque courbée sous les rouleaux des toiles à tente ; puis venaient les tambours qui, du genou, à chaque pas, lançaient leurs caisses en avant ; puis les clairons enflant leurs joues sur l’embouchure des cuivres. Deux coups de grosse caisse, un court silence, et, tout à coup, sous la grille, la fanfare mugit, emplissant la place de sonorités brutales.

Le régiment défilait, interminable ; un va-et-vient continu de manches bleues. Lucie voyait les soldats s’avancer, piétiner derrière le bouquet d’arbres, puis tourner, s’engager dans la rue de Châteaudun, à droite. Elle les suivait des yeux, curieuse, apercevait leurs dos alignés, les