Page:Chair molle.djvu/209

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beau, par une admiration intime du mâle qui était parvenu à la conquérir. Il ne l’aurait jamais quittée sans les conseils des amies et des camarades jaloux de leur liaison. Dans l’esprit de la fille, Léon devenait un être adorable ; elle le désirait. Et dévêtant les autres amants de leurs qualités, elle en habillait son premier amoureux. La revue des hommes jadis connus recommençait ; de nouvelles infamies se retraçaient en sa mémoire. Ce n’est pas Léon qui aurait fait ceci, cela.


Mais ces réflexions servaient encore à affermir ses projets. Elle se jurait qu’elle n’aurait plus ni amour, ni béguin, et formait le plan d’une existence tout emplie par l’idée de l’argent à obtenir. L’argent ce devait être son seul but ; elle se devinait très courageuse pour acquérir une fortune, prochainement, entrevoyait au terme de ses efforts une vie libre, riche, jouisseuse. Revenue à Saint-Quentin, elle stupéfierait de son luxe les anciennes camarades d’atelier, serait locataire, dans la rue d’Isle, d’un appartement somptueux. L’idée de cet appartement l’obsédait ; elle y voulait un balcon, d’où elle pourrait regarder librement les promeneurs. Comme les amants d’autrefois, si dédaigneux, rageraient en la voyant traîner aux Champs-Élysées, des robes de soie, mener en laisse un lévrier. Et