Page:Chair molle.djvu/216

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Elle aimait à l’impatienter de ses questions multiples, le faire courir à l’intérieur du magasin. Elle lui donnait de l’or pour l’obliger à aller changer à la caisse et, à son retour, d’impérieuses réclamations l’accueillaient.

— Demandez donc de la petite monnaie au lieu de ces pièces de cinq francs qui éreintent ma bourse.

— Mais, madame, il n’y en a plus.

— Dépêchez-vous ou j’irai me plaindre.

Le garçon devait se soumettre. Ce fut bien autre chose lorsque Lucie eut appris par un de ses collègues, qu’il avait parié coucher avec elle avant un mois. La fille fut froissée ; de subites honnêtetés s’indignaient en elle.

Volontiers elle avançait l’heure de sa dînette pour maltraiter l’amoureux téméraire. Ses songeries avaient pris un objet fixe : humilier cet homme. L’épicier accapara ses méditations.

Longtemps cette rigueur dura. Mais un jour Lucie s’étant montrée trop méprisante, le garçon devint très pâle. La fille fut touchée. Ses agaceries, aux premiers temps très plaisantes, l’ennuyaient déjà ; et elle se sentit brusquement apitoyée, repentante, prise pour l’infortuné d’une grande sympathie :

— Allons, allons, ne vous faites pas tant de mauvais sang ; au fond, vous savez, moi je suis une bonne fille. Allons, voyons, je ne vous tour-