Page:Chair molle.djvu/217

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menterai plus, seulement il faut que vous soyez convenable.

L’indignation avait disparu ; en Lucie persistait seule une compassion pour sa victime. Elle se promit réparer ses torts par d’amicales paroles. Et vite, entre eux, s’établit une familiarité bavarde. Souvent la fille stationnait pour communiquer au vendeur des réflexions complaisantes sur le temps ou les denrées exposées ; dans la suite ils se confièrent leurs tracas. Lui raconta les ennuyeuses fatigues du métier, elle narra la brutalité des hommes. Elle l’appelait par son prénom Zéphyr. Elle se décida même à trouver passables ses gros yeux bleus. Il avait une blouse toujours très propre, un grand col ouvert, une cravate verte, une bague au doigt.

Cependant Lucie ne découvrait en elle nul amour pour ce mâle. Malgré des instances réitérées et suppliantes elle ne céda point. Les galanteries de Zéphyr la trouvaient très froide, fâchée. L’offre d’un louis ne put la déterminer. Elle avait la conviction d’une supériorité sociale et, s’intéressant toujours à Zéphyr, elle aurait cru déchoir en acceptant ses propositions. Chaque jour, vers midi, elle le rencontrait dans un cabaret de la rue des Suaires où il mangeait. Et, pendant qu’elle faisait pomper la bière dans son broc d’étain, il lui contait des histoires qu’elle trouvait drôles.