Page:Chair molle.djvu/231

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qui lui faisaient juger son amant un souteneur. Et il n’avouait pas ! Il protestait ! Ce manque de bonne foi l’indignait. Elle lui reprochait rageusement la modicité de sa paye, son égoïsme, sa tenue propre, la manière infâme dont il avait profité d’une minute d’égarement pour s’attacher à elle « comme une sangsue, » et l’exploiter. Ensuite, quand elle fut à bout d’injures, elle s’attendrit sur elle-même, afin de trouver un thème à récriminations ;

— Toujours faut que ces cochons d’hommes me fassent périr de misère ! Qu’est—ce que j’ai donc fait pour être malheureuse comme ça.

Elle pleurait.

Un flot d’idées tristes l’envahissait, elle rappelait son luxe perdu, sa vie de noce enterrée.

— Tant pis pour toi ! Fallait pas venir !

Le ton très dur de Zéphyr fit comprendre à Lucie qu’elle avait été trop loin. Elle craignit que l’épicier ne s’en fût pour toujours ; et, dans une vague terreur de l’inconnu, empoignée aussi par un amour-propre à la pensée d’être lâchée, elle se fit aimante et douce, transigea : « Elle n’avait pu faire autrement que le suivre ; elle savait bien ; il l’avait conquise tout entière. Et cependant, aujourd’hui, il méritait bien qu’elle le quittât. Mais ce lui était impossible. » Elle continua longtemps, larmoyante, d’une voix triste, avec des regards tendres. Elle avait poussé