Page:Chair molle.djvu/239

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une inflexion de regrets pleurards, il geignait : « Va, c’est bien malheureux ! Mais aussi, c’est de ta faute ; c’est toi qui m’as rendu comme ça. Avant j’étais honnête. » Ce reproche, souvent répété, faisait naître en Lucie une forte émotion. Elle s’apitoyait aussitôt ; elle se sentit obligée à ne pas abandonner cet homme qu’elle avait perverti, persuadée que son influence seule l’avait changé en souteneur. Et, tout à la fois très fière de cette influence qui avait, croyait-elle, fait une victime, chagrinée de cette puissance mauvaise, elle se reprenait, pour un instant, à aimer Zéphyr d’une affection protectrice. Elle lui donnait son gain largement, pour réparer, pensait-elle.

L’homme, voyant l’efficacité de ses manœuvres, demandait de plus en plus. Et, à mesure qu’il obtenait plus, ses besoins avaient grandi. Il avait renoncé maintenant aux bordels malpropres du quartier Saint-Sauveur. Il fréquentait les lupanars luxueux, vêtu d’un complot très propre, pour que sa mise ne jurât pas avec celle des commis-voyageurs et des étudiants. Il jetait l’argent aux filles, sans compter. Dans son commerce continu avec elles il devint brutal. Il avait des expressions violentes, des grimaces furieuses. Et ce mélange de bonhomie et de violence intimidait Lucie, avait sur elle une grande prise. Elle n’osait plus rien refuser. Depuis longtemps, il avait quitté l’épicerie : le patron, fatigué de