Page:Chair molle.djvu/240

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ses inexactitudes et de sa paresse, l’avait chassé. Ce fut alors la femme qui paya tout, la mangeaille, les filles, les habits, le tabac. Bientôt même Zéphyr lui prit ses recettes, criant et se fâchant, quand elle hésitait à lui remettre tout l’argent gagné. Chaque jour, au déjeûner, c’étaient des réclamations sans fin, des criailleries. Et, dans le flot de ses injures, Zéphyr aggravait sans cesse le même reproche : il accusait Lucie de l’avoir perverti.

Ce reproche affolait la fille, rendue stupide par une débauche continue. C’était comme un remords qui la lancinait, lui faisait hausser les épaules avec un frisson, quand elle y songeait. Pour échapper à cette obsession torturante, elle devait inventer quelque distraction, s’acharner au gain. Elle se livrait à tous et partout, sans mépris pour les minimes profits. Elle se donnait le soir dans l’encoignure des grandes portes, sur les bancs des boulevards déserts, contre les arbres du rempart. Et, vite, avec une joie avide, elle enfouissait dans sa poche l’argent quémandé, presque volé. Les rêves de richesse étaient abandonnés ; son amour d’elle-même avait décru. Elle ne se frisait plus ; ses cheveux, collés sur le front par une pommade luisante, couvraient la peau jaunie. Ses bottines éculées restaient embouées durant des jours, gardant la glaise des remparts ; et, sous ses vêtements tachés, seul, le