Page:Chair molle.djvu/272

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soir-là, le ban et l’arrière ban des jeunes poètes plus ou moins chevelus se pressait au café Voltaire, autour d’une table légendaire, la table, toujours la même, où régulièrement venait s’asseoir notre pauvre ami Léon Valade. La nouvelle se répandit donc comme une trainée de poudre. Car il existe un clan d’êtres, fort restreint, d’ailleurs, mais aussi plein d’aristocratiques prétentions, dans lequel l’apparition de certain poème ou de certain sonnet produit une émotion analogue à celle qu’enfante, dans un autre monde beaucoup plus étendu, le bruit d’un coup de bourse. Or, quelques jours après ce soir-là, tout notre clan de poètes se rendait à la salle des Capucines. Là, c’était un parterre de rois, de reines aussi. Car, à côté des têtes illustres, à côté des têtes plus jeunes, inconnues encore, mais dont beaucoup secouaient la chevelure touffue que doit porter, au moins jusqu’à vingt ans, tout apprenti poète qui se respecte ; on voyait, papillonnants et jolis, des chapeaux de jeunes femmes. Le conférencier, qui est un causeur étonnant, remuant comme dans un kaléidoscope les idées et les images, s’était défié de lui-même. Il lisait, mais il lisait des improvisations dictées le jour même, et ce furent des causeries charmantes, brillantes tour à tour, et graves, et émues, mais toujours passionnées pour l’art et la poésie ; il lisait des vers, des pages de prose des poètes qui constituèrent le groupe du Parnasse ; et à chaque lecture, à chaque pause, des applaudissements lui coupaient la parole.