Page:Chair molle.djvu/72

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l’envers et eut beaucoup de mal à faire son nœud. Elle maudissait la patronne qui les ramenait à la boîte, où on allait les coffrer pour un long temps. Il fallait qu’elle fût sans cœur, cette femme-là pour torturer ainsi de pauvres filles. D’ailleurs, il n’y avait pas à se plaindre, puisqu’on s’était vendue ? Et ce mot « vendue » résonnait à son oreille sans arrêt.

Une fois en voiture, quand elle eut mis son visage à la portière, les plaisanteries de ses compagnes, la paresseuse jouissance de se sentir mouvoir sans agir, rendirent à Lucie sa bonne humeur. Elle se trouva bien ainsi, assise sur des coussins capitonnés. Du reste, il fallait prendre la vie comme elle venait, sans se casser la tête à chercher midi à quatorze heures.

Calmée par cette réflexion, elle contempla béatement le ciel de pourpre qui flambait à l’horizon, sous les arbres. Douai se cachait derrière la verdure des remparts, et, par delà les feuillages, le beffroi dressait ses clochetons dont l’or s’irradiait.

Lucie Thirache devint presque gaie, puis tout à fait joyeuse. Elle éclata même de rire en voyant, sur le bord de la route, de tous petits garçons qui relevaient leurs chemises, pour découvrir les blancheurs de leurs ventres.

À la vue des fortifications, du pont qu’on allait franchir, il revint à la fille comme un vague