Page:Chalandon - Essai sur la vie et les œuvres de P. de Ronsard, 1875.djvu/244

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Chez Yiclor Hugo, nous avons devant nous tout un système : ce n'est pas sous l'impression du moment que le poète écrit, ou, du moins, ses impressions sont précédées et amenées par ses idées; il croit sentir partout vivre et palpiter la nature; il entend ses soupirs, il voit le battement de ses veines. Dans la pièce déjà citée, il loue Albert Durer d'avoir subi le même charme que lui, et d'avoir su ré- pandre sur ses toiles la sève cachée qui vivifie le monde.

Dans l'élégie de Ronsard, nous n'avons affaire qu'à un sentiment actuel et passager. On va abaltre sa chère forêt de Gasline, ces ombrages qui furent les témoins de son enfance et les confidenls de ses rêveries. Ce n'est plus d'un poëmc qu'il s'agit, mais d'un plaidoyer; toutes les raisons seront bonnes pourvu qu'elles touchent le bûcheron cruel et que « Gasline sainte » soit épargnée. Le poëte sait bien que ses émolions personnelles seront de peu de poids dans la balance, et par un procédé ingénieux, il essaye d'attendrir ce bûcheron, en le transfor- mant en bourreau, en prêtant pour un instant la vie à ses arbres adorés; ensuite, son but une fois alteini, il oubliera ses divinités. C'est ainsi que le Tasse a, pour un moment, enchanté une forêt et supposé que les arbres prenaient, aux yeux de Tan- crède, les formes d'Armide et de Clorinde.