Page:Challamel - Souvenirs d’un hugolâtre.djvu/306

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et de la rue des Fossés-Saint-Victor (aujourd’hui, du Cardinal-Lemoine), à deux pas de la demeure de mon père.

C’est dire que nous le voyions tous les jours, et que nous étions au courant des mille et une distractions qui le rendaient populaire, qui égayaient la jeunesse des écoles, mais qui ne nuisaient en rien au respect profond que les élèves ressentaient pour l’éminent professeur.

Tantôt, Ampère commençait un problème avec la craie sur un fiacre, en pleine rue, et les chevaux, en partant, lui enlevaient sa solution ; tantôt, après avoir achevé une démonstration sur le tableau, il l’essuyait avec son foulard, puis il mettait dans sa poche le torchon traditionnel ; tantôt Arago, habillé en femme, se rendait chez Ampère, passait pour une astronome allemande, et, non reconnu, reparaissait ensuite pour s’entendre louer incognito par son ami ; tantôt, en conséquence d’un pari, le domestique du physicien servait plusieurs fois sur la table un poulet rôti, et lui faisait croire qu’il en avait mangé, lorsque le poulet n’avait pas même été dépecé ; tantôt il arrivait à Ampère d’examiner attentivement un caillou, de regarder l’heure à sa montre, de serrer dans son gousset le caillou, et de jeter sa montre dans la Seine, par-dessus le parapet du pont des Arts.