Page:Challamel - Souvenirs d’un hugolâtre.djvu/336

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phonse Esquiros les Odes et Ballades de Victor Hugo. Esquiros les avait prêtés à un sien cousin, lequel les avait prêtés à Alibaud. Sur le premier volume était écrit : Ex libris Augustin Challamel, rue des Boulangers, n° 30.

De là une invitation à venir au Palais de Justice, pour reprendre mes deux volumes ; de là l’apparition d’une estafette à mon domicile ; de là une interprétation bien forcée de mon acte inoffensif, qui semblait établir une complicité de votre serviteur avec le régicide Alibaud.

En publiant cette anecdote, je dois ajouter que mon père pouvait s’alarmer avec juste raison sur mon compte, car il était encore sous l’influence de l’émotion qu’il avait éprouvée, en 1835, quand il apprit que son bourrelier, le vieux Morey, était de complicité avec Fieschi dans la machine infernale du boulevard du Temple. Je dois ajouter aussi que, à cette époque d’attentats successifs, d’exaltation antiphilippiste parmi la jeunesse, nombre de fils de bourgeois se trouvaient compromis, de près ou de loin, dans les plus sanglantes tentatives. Je dois ajouter enfin que, à la vue d’Alibaud, jamais je ne me serais douté qu’il dût essayer de tuer quelqu’un. Sa figure était douce et sympathique : il y avait seulement dans son regard une sorte de feu voilé, que l’on rencontre fréquemment dans le regard des fanatiques.