On s’imagine parfois, souvent même, que la « question juive » est un phénomène tout récent ; on a tort, mais ce qui est nouveau, par contre, c’est qu’une question qu’on discutait jadis en toute franchise doive aujourd’hui être presque proscrite, à raison de la susceptibilité exagérée des esprits.
Point n’est besoin de remonter jusqu’à la sceleratissima gens de Sénèque, ni même jusqu’à Gœthe et à Beethoven ; il suffit d’établir que, quand Wagner entra dans la vie publique, tous les non-juifs étaient antisémites, depuis les démocrates teintés de socialisme jusqu’aux ultra-conservateurs. Herwegh, le socialiste, se plaignait de la faveur que lui avaient montrée les juifs : elle l’offensait. Dingelstedt, le héraut de la liberté allemande, écrivait :
« Où qu’on étende la main, elle se referme sur des juifs ; et partout ils sont le peuple chéri du Seigneur ; allez, enfermez-les à nouveau dans leurs vieilles rues, avant qu’ils ne vous enferment eux-mêmes dans un ghetto chrétien ! »
Dans le Landtag prussien, en 1847, le baron Frédéric de Thadden-Trieglaff réclamait textuellement « l’émancipation des chrétiens du joug juif », et M. de Bismarck-Schœnhausen s’exprimait dans le même sens ! Et ce n’est pas seulement en Allemagne que les esprits les mieux doués comprenaient que l’intrusion d’un élément étranger, de nature si spéciale, dans la vie publique des peuples d’Europe, apportait avec elle un élément de déformation certaine. En France paraissait, en cette même année 1847, l’œuvre prophétique de Toussenel : Les Juifs rois de l’époque. Il est très caractéristique que Feuerbach ait été célébré, sur tous les tons, par les juifs, bien qu’en de nombreux passages de ses œuvres il se soit exprimé sur