Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V


Il nous reste à voir quel sera, dans ce drame idéal, le rôle des autres arts, et en particulier de la poésie. Wagner n’était nullement sur ce point de l’avis de Milton, qui croyait possible l’union « d’une musique sublime avec des vers immortels ». « Le fait qu’une musique ne perd rien de son caractère quand on change les paroles qu’elle prétend traduire », disait-il au contraire, « prouve assez clairement que la soi-disant relation intime de la musique et de la poésie est une pure illusion. Quand on entend des paroles chantées, à supposer même qu’on perçoive les paroles (ce qui, dans les chœurs notamment, est presque impossible), ce n’est pas à ces paroles qu’on fait attention, mais à la seule émotion musicale provoquée par elles chez le musicien. » Cette déclaration, venant de Wagner, pourra, au premier abord, surprendre plus d’un lecteur. Elle est en contradiction flagrante avec ce principe de Gluck « que l’objet de la musique est de soutenir la poésie ». Mais nous avons dit déjà que la conception wagnérienne du drame, loin d’être d’accord avec celle de Gluck, de ses prédécesseurs et de ses successeurs, comme on le répète communément, lui est, au contraire, tout à fait opposée. Wagner, d’ailleurs, dit encore dans un autre endroit que « toute réunion de la musique et de la poésie a nécessairement pour effet de dégrader cette dernière ».

C’est que, pour comprendre la théorie de Wagner, il faut toujours revenir à cette pensée de Lessing, que « la nature a destiné la poésie et la musique non pas à être liées ensemble, mais à former un seul et même