Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complète était réservée au drame. Erreur qui a été pour Wagner lui-même de l’effet le plus précieux : elle seule lui a révélé, en effet, le pouvoir profond de la musique, car ce n’est pas Gluck, mais Beethoven, qui a enseigné à Wagner la voie du drame purement humain.

C’est là un point d’histoire assez important, et qui nous aide à comprendre la véritable fonction de la musique dans le drame.

Nous avons vu que la musique, livrée à elle seule, était incapable de créer des formes, ne pouvant ni peindre, ni décrire ni exprimer une action. Mais ce serait une erreur de penser que les mots, les idées, les vers puissent limiter et déterminèr la musique. « Jamais les vers du poète n’y parviendraient, quand même ce seraient ceux de Gœthe ou de Schiller : cela n’est possible qu’au drame, en tant qu’il projette devant nos yeux le reflet de la musique, en tant que les mots et les pensées n’y servent plus qu’à la vie de l’action. » La tentative de Gluck pour adapter la musique aux paroles, si glorieuse qu’elle soit, n’a rien à voir ici ; tandis que c’est, au contraire, « l’erreur nécessaire » de Beethoven qui nous a révélé le pouvoir inépuisable de la musique. « Par son effort héroïque pour atteindre l’idéal nécessaire dans une voie impossible, Beethoven nous a montré l’aptitude infinie de la musique à atteindre cet idéal dans une voie où elle n’aurait plus besoin que d’être ce qu’elle est en réalité, l’art de l’expression. »

On comprend maintenant ce que voulait dire Wagner quand il rêvait d’un drame où « se trouveraient confondues dans une essence unique les figures de Shakspeare et les mélodies de Beethoven ». Et l’on devine pourquoi il nous dit qu’il aurait aimé à définir ses drames : « de la musique réalisée en action et rendue visible. »