Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/339

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on ne saurait tirer un drame clair et fort, encore moins un drame de pure humanité, comme la musique l’exige. Wagner choisit donc le mythe, laisse là l’épopée et, en 1848, après s’être plusieurs années occupé de ce sujet et être arrivé à le dominer complètement, il conçut et rédigea un premier projet de dramatisation du mythe des Nibelungen. Mais ce projet se différencie déjà de tous les autres essais par le fait que la mort de Siegfried en forme la conclusion et le point culminant. Il n’y a donc que la catastrophe finale, dans le drame de Wagner, qui garde contact avec le chant des Nibelungen. D’emblée, dans ce premier projet, Siegfried est le héros, Brünnhilde l’héroïne ; Gunther et Chriemhilde-Gutrune sont des personnalités secondaires, qui n’intéressent que pour autant qu’elles jouent un rôle dans le destin tragique du couple des vrais héros. En un mot, Wagner sort du domaine de la légende pour entrer dans celui du mythe. Et précisément ce fait qu’il rejeta le chant médiéval, à moitié historique, et choisit de préférence les figures des dieux et des héros du Nord, marque une époque de première importance dans la vie du maître ; car, par là, l’artiste avait fait un acte dont sa raison ne devait comprendre toute la signification que quelques années plus tard. Ce ne fut, en effet, que plus tard qu’il put, ou plutôt sut dire : « Ce que le mythe a d’incomparable, c’est qu’il reste toujours vrai, et que son contenu, dans son extrême condensation, demeure inépuisable pour tous les temps. »

Et maintenant, qu’on jette les yeux sur le projet élaboré par Wagner en 1848.

Le cours des événements extérieurs y est à peu près le même que dans le poème actuel. L’action commence avec le rapt de l’or par Alberich qui en forge cet anneau fatidique qui donne la toute-puissance ; quand